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Au début, et pendant très longtemps, il y a très peu de choses que je connaissais de Ferit. Ce nom m’évoquait quelque chose depuis les années 70. Je savais seulement qu’il était peintre, qu’il vivait à Paris, qu’il avait un nom et un prénom à consonance typiquement turque ; qu’il avait côtoyé certains des peintres d’origine turque vivant à Paris, comme Erdal Alantar, Mübin Orhon ou encore Albert Bitran. Qu’il était également l’ami d’autres peintres comme Jean-Pierre Cassigneul, François Aubrun ou Claude Clavel. J’avais croisé, placardées dans les rues, quelques affiches de ses expositions. Je ne l’avais jamais rencontré les samedis en fin d’après-midi au café La Palette rue de Seine, là où les peintres turcs avaient pris l’habitude de se retrouver autour d’un (ou plutôt de plusieurs) verres…

J’avais marqué, sur l’une des nombreuses pages réservées aux « choses à faire absolument » de mon agenda et qui évidemment ne se font jamais ou si peu, qu’il fallait que j’aille un jour faire sa connaissance. Je n’en ai jamais eu le temps, -je n’en ai jamais pris le temps devrais-je dire-,  et Ferit est mort soudainement en 1986, mort trop jeune, mort à contretemps de son histoire et de son art ; art puissant, atypique, marquant, qu’il aurait encore développé vers d’autres perfections dans les décennies qui auraient du lui rester à vivre.

Les toiles de Ferit que je découvrais de temps à autre en salle des ventes, essentiellement à Drouot, m’avaient donné une fausse image de sa palette. Il ne s’agissait quasiment que de paysages des années 80 ou de la fin des années 70, dont un grand nombre de représentations de jardins ou de terrains de golf au Japon, dues notamment à sa collaboration avec la galerie Tamenaga. J’apprendrai bien plus tard qu’il n’avait accepté de peindre cette série de jardins japonais qu’à la condition expresse que ces toiles ne reviennent jamais en France !  Les œuvres qui passaient en vente étaient souvent totalement différentes de sa production aboutie. Drouot, qui donne l’occasion de découvrir des trésors cachés au détour d’une manette ou à l’intérieur d’un carton à dessin ; peut entraîner parfois de grandes erreurs de jugement sur tel ou tel artiste, quand le point de vue que vous vous forgez ne se base que sur ce que voyez passer aux enchères. C’était le cas en ce qui me concerne, puisque j’en étais arrivé à me persuader que Ferit n’avait peint que les paysages que je voyais.

Jusqu’au jour ou, - après avoir attendu quelques années à le mettre sans arrêt bien en évidence sur mon agenda parmi les choses « urgentes »  à faire-  j’ai enfin pris la décision de prendre rendez-vous avec sa femme Françoise, qui habite dans le Lot, là où Ferit aimait travailler, en y retrouvant le lit de la Dordogne et les contours toujours renouvelés des vallons environnants. La France, ce merveilleux jardin-musée, avec ses paysages façonnés par la main de l’homme au cours des siècles d’agriculture, présente dans ce département des panoramas d’une perfection rare, vous donnant l’impression de vous déplacer en permanence au travers de tableaux en trois dimensions peints par Ruysdael. Ce fut peut-être le point de départ qui allait inciter Ferit Iscan à venir s’inspirer des rivières et de la végétation durant une longue période de sa création.

Cette visite dans cet atelier lointain,  quelque peu hors du temps -on n’accède au lotissement que par une toute petite route de terre où deux voitures ne peuvent absolument pas se croiser-, et accolé à une ancien pigeonnier et un corps de ferme servant de maison principale, fut pour moi l’occasion d’une réelle découverte artistique.

Quel choc ! J’avais réellement l’impression d’être un archéologue entrouvrant la porte d’une salle aux trésors. Il y avait là un très grand nombre de toiles, minutieusement rangées dans des casiers, dans un atelier qui donnait l’impression d’être plongé dans une sorte de sommeil fragile, ne demandant qu’à se réveiller au regard du visiteur. Ferit Iscan considérait d’ailleurs, comme il l’avouait dans un long entretien avec François Pédron, que les toiles possédaient  un pouvoir interne, quasi magnétique, susceptible de se développer selon les circonstances.

Homme libre, Ferit Iscan connut différentes périodes, Au début des années 60, il se lança dans une recherche centrée sur l’agencement simultané d’une myriade de touches colorées, qui représentaient déjà une figuration déguisée, avant que ne vienne éclater, à partir de 1967, un feu d’artifice où allait dominer surtout le bleu, avec l’apparition de silhouettes dans ces nouvelles compositions, représentant souvent des âmes torturées à l’apparence d’ectoplasmes. Un tournant radical apparaît en 1970, année à partir de laquelle Ferit s’attaque aux figures géométriques, aux perspectives, placées directement sur des bouillonnements de couleur. La fin des années 70 laissera la place progressivement aux paysages, aux natures mortes, aux scènes d’atelier et même à des nus, où dominent la lumière, le suggéré. Comme allait le dire Jean Dominique Rey dans un texte publié en 1987, « Au-delà du sujet, le regard reste séduit par l’économie des moyens et la densité de l’évocation: tout est situé mais rien n’est appuyé. »  Tout est là justement.  Ces tableaux là ont ceci d’extraordinaire que vous les découvrez d’un œil nouveau à chaque fois que vous les regardez. Ils ne donnent d’eux mêmes, que ce que vous vous êtes disposé à en recevoir à un moment précis.

Le livre consacré à Ferit se veut un hommage à une étoile filante du monde de l’art, qui était probablement un personnage discret, enfermé sur lui- même, sachant découvrir dans ses toiles les angoisses, les tensions du monde en même temps que ses propres peurs. Pour Roger Grenier, l’œuvre d’Iscan est « une aventure psychologique, l’évolution d’une sensibilité, qui subit non seulement ses propres tensions intérieures, mais la pression des événements et même, discrètement, de l’Histoire. » La confrontation avec l’extrême intensité des sentiments qui se dégageaient des scènes qu’il savait si bien transmettre a du certainement lui être fatale. On ne se mesure pas impunément à la recherche de l’absolu, même si l’absolu sait si bien revêtir mille facettes. Comme l’avait écrit Geneviève Breerette dans le Monde, nous avons ici « un langage pictural motivé par un besoin profond de signifier une réflexion quasi philosophique sur la nature des choses. »

Ferit est donc un artiste à découvrir, à redécouvrir de toute urgence. Les très nombreuses photos figurant dans cet ouvrage vous aideront certainement à mieux saisir l’étendue de son talent, la puissance de sa lumière. Qu’il me soit permis ici de remercier le travail de conservation et de préservation effectué par Françoise Iscan, sans qui la mémoire plastique de Ferit aurait très bien pu disparaître dans une quelconque vente de fonds d’atelier et s’éparpiller à tout jamais. C’est encore elle qui contribua à organiser deux expositions rétrospectives importantes, qui se tinrent en 1988 à l’Ecole Nationale supérieure des Beaux-Arts, et en 2000 à Arcachon. Marianne Grangié, la compagne de Ferit de 1967 jusqu’à sa mort en 1986, et qui avait également organisé la grande exposition de 1988, m’a permis d’avoir accès à une large sélection de photographies de Ferit. Un grand merci également à Gilles Iscan, le fils aîné de Ferit, à Marianne Grangié, à Jean-Pierre Versini et au docteur Mondon, dont les collections sont venues aussi enrichir ce livre. Ünal Göğüş, à qui j’avais fait parvenir les photographies des toiles de Ferit suite à ma première visite dans le Lot, et avec qui je suis retourné dans l’atelier d’Iscan, a acquis immédiatement un certain nombre de toiles qui serviront, á n’en pas douter, de nouveau départ pour la reconnaissance de cet artiste majeur en Turquie.

Kerem TOPUZ

 

 

 
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